Laurent
Potelle
Au
train
où
ne
vont
pas
les
choses
nouvelle
Sur le
quai de départ flottait une
atmosphère nauséabonde. Un ciel
tourmenté semblait indiquer
l’essentiel de ce qui attendait
Félix dans cette ville de province
où son destin impartial le
conduisait.
Bien
des fois, il avait envisagé de
partir vers d’autres horizons. Mais
aujourd’hui, désabusé par la
médiocrité de sa destination, il se
demandait pourquoi la grandeur de
ses rêves n’avaient eu d’égal,
jusqu’à présent du moins, que dans
l’absolu néant de son quotidien.
Cette
gare était sinistre et presque
déserte, comme un lendemain de
cuite… Quelques voyageurs informes
semblaient posés ici ou là par
quelque réalisateur de cinéma
soucieux de créer une ambiance
terne, glauque, prêtant le flanc à
l’inquiétude angoissante du déraciné
volontaire.
Le
train arrivait au loin tandis que
Félix regardait briller ses souliers
flambant neufs.
Dans
son compartiment, il était seul. Il
alluma une cigarette et recracha une
bonne bouffée de bronchite
chronique.
Enfin,
il ouvrit la vitre et regarda
défiler les vaches pas folles du
tout qui elles ne bougeait pas…
Cette situation l’amuse.
- Mais
où allez-vous donc comme ça ? leur
demanda-t-il à haute mais
inintelligible voix.
Aucune
ne lui répondit. Il en fut
légèrement attristé et referma la
vitre après avoir jeté son mégot au
dehors. Ce geste innocemment
malencontreux mit le feu à quelques
brins d’herbe sèche qui enflammèrent
un bosquet, puis un autre… Avant de
ravager finalement quelques
centaines d’hectares de forêt ainsi
que quelques corps de ferme isolés
en dépit de la lutte acharnée que
livrèrent à l’incendie quatorze
casernes de pompiers et quelques
centaines d’autochtones…
Allongé
maintenant sur la banquette, Félix
s’endormait quand un contrôleur vint
lui demander de présenter son titre
de transport. Il lui tendit le
ticket sans un mot et le reprit sans
une virgule. Il est comme ça Félix !
Il ne
retrouva pas ensuite les portes du
sommeil mais n’eut pas de peine à se
rendre jusqu’à celles des toilettes.
Elles
étaient occupées et vingt-trois
personnes attendaient chacune
impatiemment leur tour.
Félix
regagna d’un pas décidé son
compartiment. Comme il était seul,
il pissa dans un gobelet laissé dans
la poubelle par un précédent
voyageur et jeta l’ensemble par la
fenêtre. Ce qui ne contribua pas à
éteindre l’incendie…
Puis,
fatigué, il ferma la porte, baissa
les stores et s’endormir quelques
minutes.
Le
premier arrêt l’éveilla brusquement.
Il en profita pour prendre un peu
l’air à la fenêtre. En cinq minutes,
il n’y eu aucun mouvement sur le
quai, pas un nouveau voyageur ne
monta.
Pourtant,
quelques instant après le départ du
train, ayant repris sa léthargique
place dans son compartiment, Félix
constata que quelqu’un actionnait la
poignée et cherchait manifestement à
y pénétrer.
Il
ouvrit la porte et tomba nez à nez
avec une jeune femme sans bagage.
- Vous
permettez ? lui demanda-t-elle
- Oui,
bien sûr… esquissa Félix
Elle
était jeune, plutôt jolie et
paraissait triste. Ils
s’installèrent en silence.
- Cela
vous dérange-t-il si je fume ?
demanda Félix après une dizaine de
kilomètres d’intimité.
- Non,
pas du tout si vous m’en offrez une,
répondit-elle avec une pointe
ravissante d’espièglerie dans la
voix.
Ainsi
fut dit, ainsi fut fait…
Il la
trouvait étrange, elle le trouvait
bizarre. Ils se plurent.
Félix
somnola une paire d’heures. A son
réveil, elle n’était plus là. Il
avait dormi si profondément qu’il
n’avait entendu ni les arrêts du
train, ni le départ de la belle et
mystérieuse jeune femme.
Il
songea qu’il était vraiment trop
bête. Personne ne le contredira !
Soudain,
il sentit qu’il avait quelque chose
de tiède dans la main. Après trois
légitimes secondes d’hésitation, il
regarda et découvrit un gobelet
d’urine dans lequel flottait un
mégot. Ce n’était pas sa marque de
cigarettes…