LES YEUX AU CIEL
chapitre
1
" Et
pendant qu'il la regarde, il lui
fait un enfant d'âme. "
Henri
Michaux
Qu'importe.
Ce livre m'est étranger. Je ne
voulais pas l'écrire : il ne procède
d'aucun désir de ma part. L'idée
même de m'asseoir devant ces
feuilles m'est insupportable,
quasiment odieuse et m'apparaît
comme totalement affligeante.
Cela me
fait l'effet de me jeter dans le
vide avec le secret espoir qu'un
bruit parasite quelconque vienne
m'arracher à mon rêve avant
l'écrasement final.
Mais
cela ne se produira pas, je le sais.
Il y a trop longtemps que je
l'envisage, que je me contente de
l'envisager. Aujourd'hui, je renonce
à renoncer.
L'histoire
que je vais tenter de vous rapporter
est d'une banalité désespérante. Je
la tiens d'une femme ivre l'ayant
d'ailleurs sans doute inventée de
toutes pièces. Et s'il s'agissait de
la mienne... La véracité de ce récit
n'est pas mon problème ; je m'en
fous royalement, comme de ma
première chaude-pisse. Cessez-là
votre lecture si tel n'est pas votre
cas.
Amateurs
de réalisme, suceurs de faits
divers, adeptes du roman vrai,
j'espère que vous avez emprunté ce
livre. Je souhaite que vous l'ayez
volé. Utilisez l'objet comme bon
vous semblera et laissez-nous entre
nous !
J'en
devine certains parmi vous qui
s'obstinent. Ils ont tort... Ils
escomptent à coup sûr qu'il sera
question d'une histoire d'amour.
Tout le monde veut lire l'amour ; à
commencer par ceux qui l'ont sans le
savoir. Les autres sont de malsains
curieux... Vous n'aurez pas un roman
de rose à l'eau de gare.
J'en
rajouterai dans la sueur, le sang et
les larmes. Exprès!
Aucun
des protagonistes, si je peux
m'exprimer ainsi, n'est vraiment
l'archétype du héros humidifiant.
Alors, arrêtez-vous là, fermez ce
chef- d'oeuvre, achetez-vous une
revue merdique et prenez votre
train... La suite ne vous concerne
pas.
C'est
difficile d'avoir de bons lecteurs
de nos jours... La littérature a
toujours souffert de la médiocrité
de ses usagers. Je le sais, je lis
beaucoup moi-même...
D'insignes
connaisseurs, férus de
belles-lettres, amoureux entichés de
la noble syntaxe, amants très
platoniques des prosodies haletantes
et inconditionnels des subjonctifs
parfaits se sont peut-être
subrepticement glissés parmi vous
malgré ma vigilance.
Je
leur dirais tout simplement
: "Fuck you !"
Pour
ceux que j'ai délibérément oubliés :
anonymes du verbe, apatrides des
bonheurs simples, plénipotentiaires
faussement sceptiques et emmerdeurs
notoires, j'ajouterai qu'il n'est
pas dans mes intentions de nuire à
votre espèce mais que, néanmoins,
vous sentez l'ammoniac.
Il
s'établit désormais, à mon insu, un
rapport que l'on pourrait qualifier
de complicité entre vous, qui avez
vaille que vaille décidé de
poursuivre votre lecture, et moi,
humble narrateur de ce navrant
récit. C'est sans doute ce que vous
vous croyez légitimement en droit de
penser. Pourtant, on ne se connaît
pas, je ne vous dois rien et ne
comptez pas sur moi pour tenir mes
promesses.
D'ailleurs,
je ne me suis pas présenté. Il
paraît qu'il s'agit d'une pratique
courante entre personnes de bonne
compagnie.
Mais,
l'êtes-vous seulement ? C'est un
peu difficile de l'imaginer...
N'y
aurait-il pas au sein de votre
troupeau diminuant des crétins
semi-mondains estimant que Le Pen ne
dit pas que des conneries, et
pourquoi pas, mais je n'ose y
penser, des monstres sacrilèges
prétendant couper leurs spaghettis
avant de les manger ?
J'espère
très sincèrement que non ; je me
refuse à envisager ce merveilleux
ouvrage entre les mains de la lie de
l'humanité. Enfin, on m'a certifié
que je n'avais aucun moyen de
contrôle pour le vérifier. Croyez
bien que je le regrette. Je vous
l'écris tout net.